François-André Isambert (1924-2017)

    Décédé à l’âge de 92 ans le 18 février 2017 à Bagneux, François-André Isambert était le dernier des membres fondateurs encore en vie du Groupe de sociologie des religions créé au CNRS en 1954 par le juriste Gabriel Le Bras et animé par Henri Desroche. Ce groupe s’est fait connaître à travers sa revue, les Archives de sociologie des religions, devenue Archives de sciences sociales des religions à partir de 1973. Également membre actif pendant une trentaine d’années de la Revue française de sociologie fondée par Jean Stoetzel, Isambert fait partie de cette génération d’après-guerre qui a reconstruit la sociologie en lui conférant l’assise d’une discipline universitaire à part entière. Moins présente dans l’espace public que celle de ses proches collègues comme Pierre Bourdieu, Alain Touraine ou Edgar Morin, l’œuvre d’Isambert appartient aux classiques sur les questions relatives au sacré, à la morale et à l’éthique. La rigueur conceptuelle, la précision historique et la réflexion critique sur le statut du savoir caractérisent son parcours. François-André Isambert est né à Coblence en 1924 où son père assurait alors le secrétariat de la Commission interalliée pour le territoire de la Rhénanie. Son ancêtre homonyme fut jurisconsulte et avocat de l’abolition de l’esclavage sous la Monarchie de Juillet. Après ses études à Paris (Janson-de-Sailly) puis à Lyon pendant l’Occupation, l’étudiant de khâgne embrasse la cause de la Résistance aux côtés des réseaux d’étudiants chrétiens. Il s’engage en 1944 dans la Première Armée qui libère l’Alsace. Agrégé de philosophie en 1947, il enseigne à Besançon, marié avec Viviane Jamati, future sociologue du travail féminin puis de l’éducation. Comme nombre de philosophes engagés dans le mouvement de l’histoire, Isambert se tourne vers la sociologie et devient assistant de Georges Gurvitch à la Sorbonne. Préoccupé par le fossé entre le monde ouvrier et le christianisme, il se rapproche de Gabriel Le Bras qui le recrute au CNRS. Son premier essai, Christianisme et classe ouvrière (1961) prend la mesure statistique des écarts tout en apportant par l’histoire des nuances au schéma de la déchristianisation du monde. Sa thèse d’État, De la charbonnerie au saint-simonisme. Etude sur la jeunesse de Buchez (1966) et Buchez ou l’âge théologique de la sociologie (1967), ouvre ainsi, à travers la figure méconnue de Philippe Buchez, une fenêtre sur les interrelations entre le catholicisme, le socialisme et la science du social. Professeur de sociologie à Lille puis à Nanterre, et enfin élu en 1971 directeur d’études à la 6e section de l’École pratique des hautes études (devenue EHESS en 1975), ses recherches et son enseignement le conduisent au centre des débats internationaux sur la sécularisation des sociétés occidentales. Revenant aux thèses de l’école durkheimienne sur la nature sociale du sacré, il décrypte les mécanismes de l’efficacité symbolique des rituels transformés, notamment après les réformes de Vatican II : Rite et efficacité symbolique. Essai d’anthropologie sociologique (1979) et Le sens du sacré. Fête et religion populaire (1982). Observateur attentif des « situations à propositions profuses », comme il le dit à propos des débats sur la contraception et l’avortement, il créée à partir des années 1980 un laboratoire de sociologie de l’éthique dédié entre autres à l’étude des justifications et des litiges qui accompagnent tout processus biomédical engageant le corps, la vie et la mort : manipulations génétiques, don d’organes, assistance à la fin de vie, etc. La généalogie de la bioéthique qu’il entreprend avec ses correspondants américains (Renée C. Fox) l’amène à mettre au jour le rapport expérimental à l’humain au même titre que Michel Foucault avait exploré la dimension clinique de la médecine. Dans son livre bilan De la religion à l’éthique (1992), il vise moins un improbable remplacement du religieux par l’éthique qu’une attention renouvelée aux références métaphysiques investies dans le débat public sur le statut du vivant. En cela sa pensée riche en nuances nous prévient contre tout étonnement face aux résurgences passionnelles d’aujourd’hui au nom de la « post-vérité ». Peu à l’aise dans les tâches croissantes d’organisation de la recherche malgré diverses responsabilités prises au plus haut niveau, il a cependant formé quelques chercheurs qui se réclament de son héritage exigeant, notamment Patrick Pharo, spécialiste des questions morales, et Simone Bateman, analyste des pratiques biomédicales à controverses, sans parler des sociologues des religions qui telle Danièle Hervieu-Léger se réfèrent à lui. Ses derniers travaux d’épistémologie critique sur la réduction des sciences à leur socialité, sur les traductions fautives de Max Weber ou sur le coefficient moral de la théorie économique de John Maynard Keynes témoignent de la curiosité universelle de cet auteur.  

Nécrologe écrit par Pierre Lassave (CéSor)

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