Appel à candidatures
À travers une série de trois ateliers de recherche, l’axe transversal Religions & Numérique du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL / UMR8582) propose en 2024-2025 de créer un groupe de travail qui s’interrogera sur les reconfigurations des espaces et des milieux numériques dans lesquels le religieux est pensé et pratiqué. Il s'agit de considérer ces espaces hybrides de manière interdépendante et de rendre compte des transformations à l'œuvre dans les relations avec le sacré et le divin. Les trois journées auront lieu les 18 décembre 2024, 12 février et 11 juin 2025 au Campus Condorcet (Aubervilliers). Elles ont été envisagées comme un espace transdisciplinaire, permettant à des chercheurs et à des chercheuses, toutes aires culturelles confondues, de pouvoir réfléchir collectivement à ces questions, en vue de l’élaboration d’un numéro spécial de revue.
Argumentaire
Le numérique sous ses multiples formes transforme nos représentations du monde et, par conséquent, les manifestations du religieux. Ce dernier se pense et se pratique désormais dans des espaces hybrides au sein de communautés qui peuvent s’inventer in situ et « en ligne », sans discontinuité entre ces espaces qui demeurent interconnectés. Le numérique produit, ainsi, une mutation profonde des espaces dans lesquels le religieux s’intègre. Les nouvelles technologies de médiatisation permettent, d’une part, la transmission des pratiques sur internet, lesquelles se voient enrichies par de nouveaux cadres de cocréation, de participation et d’interaction. D’autre part, le numérique
est devenu un lieu privilégié d’élaboration et de recomposition des pratiques rituelles et des savoirs religieux. En tant que milieu (Bachimont, 2015), il permet donc de penser des interactions inédites entre les humains et avec le non-humain, impliquant par ailleurs de nouvelles dynamiques de structuration des communautés et de gouvernance religieuse.
Le tournant spatial en sciences des religions appelle à renouveler la réflexion sur l’espace et la religion (Dejean, 2020), en s'articulant autour de la construction mutuelle des espaces géographiques et des cyber-espaces du religieux. Des recherches portant sur les cadres spatiaux et matériels du religieux contemporain ont ainsi conduit à de nouvelles réflexions concernant la reconfiguration des espaces religieux, plutôt que leur dépassement. Plus récemment, des études se sont interrogées sur la manière dont les transformations sociales, liées au numérique et au religieux, se traduisent simultanément dans des espaces hybrides (Campbell et Tsuria, 2021). Celles-ci ont également développé l’hypothèse d’une sacralité du numérique, à travers des technologies devenues le réceptacle contemporain d’imaginaires religieux anciens et nouveaux (Aguiar, 2018). Les technologies numériques interrogent alors sur la façon dont les paroles et les actes des croyants et des croyantes sont médiatisés, c’est-à-dire la manière dont des personnes et des espaces entrent en relation et (re)formulent ou transforment les échanges religieux, sociaux, culturels, économiques et politiques. Dans le prolongement des travaux de Christine Hine (2015), il s’agit donc de prendre en compte les technologies numériques dans leur capacité de médiation et d’analyser leurs impacts sur les relations inter et extra-humaines.
Autour des enjeux que cette thématique principale soulève, nous encourageons la soumission de contributions qui s’inscrivent dans des perspectives de recherches complémentaires, plus spécifiquement en rapport avec la technologie, le rituel et l’autorité.
La Technologie
À travers le thème de la technologie, nous souhaitons nous questionner sur la manière dont les « milieux numériques » permettent de penser les perceptions du religieux dans la relation de co-constitution de l’individu et du collectif avec la technique et son contenu (Bouchardon et Cailleau, 2018). La notion de géocyberespace, parfois utilisée à la place de celle de milieux numériques, désigne un regroupement de l’espace physique et de l’espace technologique des réseaux et des flux avec une réalité spatio-temporelle qui résulte de ces deux types d’espace (Bakis, 2007). Notre intention est de regarder quels rôles les milieux numériques ou les géocyberespaces
ont joué dans la médiatisation d’idées et de représentations religieuses en continuité ou en rupture avec l’histoire des religions. Cette dernière question renvoie notamment aux œuvres culturelles réalisées à l’aide des technologies du numérique. Cependant, la culture numérique, qui peut notamment avoir comme milieu numérique des acteurs et actrices originaires d'Asie de l'Est proposant de nouveaux imaginaires en lien avec le religieux, n'a pas les mêmes limites spatiales que son milieu, puisque ses produits culturels sont diffusés, traduits et réadaptés en dehors du groupe d'origine.
Ce thème concerne également les structures des espaces d’échange des pratiques et des discours religieux et s’intéresse à la manière dont celles-ci sont investies par les individus ou les groupes d’individus. Nos interrogations incluent la nature et l’usage des technologies du numérique (data, outils publics ou privés…) pour propager le religieux, créer des réseaux et contrôler les rapports entre le religieux et les utilisateurs. Elles portent aussi sur l’analyse des reconfigurations de l’espace religieux à partir des lieux de cultes traditionnels (Hervieu-Léger, 2001), en nous orientant vers les reconfigurations des espaces religieux in situ et numérique (Dudoignon, 2020). Il s’agira de regarder par exemple comment les organisations religieuses localisées sur des espaces physiques s’approprient les outils numériques pour construire et maintenir leur communauté, telles que les megachurches diffusant simultanément leurs services sur chacun de leurs sites (Campbell et al., 2020).
Le rituel
Objet central de l’anthropologie, le rituel a été étudié de manière multiple et dans des contextes extrêmement variés. Si les approches contemporaines ont tenté d’en délimiter les contours à partir de contextes localisés et de rendre compte de leur capacité de reconfiguration du social, ils sont unanimement reconnus comme de véritables moyens d’entrer en relation. En effet, la performance
rituelle a été conceptualisée comme un espace de liminalité où la société peut se recomposer (Turner et al., 1969), le rituel étant notamment un moment de condensation relationnelle (Houseman et Severi, 2009) permettant à ses participants et participantes de faire preuve d’agentivité par des actes intentionnels. Comment alors penser l’interdépendance entre espace rituel et relations sociales lorsque l’action rituelle est potentiellement déterritorialisée; accomplie, mise en scène ou médiatisée sur et à travers l’espace numérique? Que produit-elle sur le numérique et, en miroir, comment ce dernier reconfigure-t-il les relations entre les individus qui l’accomplissent ?
Les espaces numériques ont été observés comme des lieux de dévotion, de prière et de culte, pouvant aussi être « vécus » par les internautes, notamment lors des pèlerinages en ligne (Hill-Smith, 2011) qui offrent aux diasporas la possibilité de maintenir des liens avec des terres sacrées. Certains groupes se sont mis à questionner l'efficacité rituelle en contexte numérique, notamment à
travers la manière dont la matérialité pouvait fonctionner « en ligne ». Le principal débat a, de ce fait, concerné la légitimité de la perception de l'espace numérique comme authentique, au lieu de le penser dans sa capacité de co-construction avec le social. Les recherches actuelles prennent en compte cette hybridité, s’interrogeant plutôt sur le concept de remédiation pour penser les rituels (Helland et Kienzl, 2021: 48). Le rituel, conjugué aux technologies numériques, permet ainsi aux individus de se mettre en relation de façon inédite et multi-située, au point que l’on puisse parler d’un « processus de démocratisation » (Bellio, 2016 : 211-227).
L’autorité religieuse
À travers le thème de l'autorité religieuse, nous souhaitons questionner les dynamiques de transformation de l’autorité et de la gouvernance religieuse à l’ère de la numérisation (Duteil-Ogata, 2015). Si l’essor des réseaux sociaux a accéléré cette dynamique, il l’a également soumise aux modalités de participation des plateformes. « Espace régulé, de maîtrise, d’autorité et de contrôle » (Catellani, Servais, Douyère, 2021:7), l’espace religieux numérique questionne les relations de pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur des organisations religieuses. La « reformulation de la présence des acteurs religieux » (Fer, 2021:7) sur un espace public transformé par la médiatisation numérique les pousse à mettre en place des stratégies dédiées afin de rester visible (Voirol, 2005) et de garder le monopole du sens. Ces stratégies peuvent tant reposer sur une organisation du discours similaire à celle observée avec le développement des technologies
audio-visuelles (Fath, 2002) que procéder des spécificités d’Internet (Arminjon, 2015). Dans le prolongement de la réflexion développée sur le rituel, nous nous questionnons sur la façon dont la médiatisation numérique affecte la construction de normes religieuses négociées.
Les milieux numériques sont ainsi le lieu de micro-affrontements, qui participent autant à la construction de légitimité des acteurs institutionnels qu’ils sont des moments de négociation de la normalité du religieux au quotidien (Roda, 2024). L’autorité y semble plus « liquide » (Possamai et Turner, 2012) entraînant de fait une multiplication des sources de légitimité. Par ailleurs, l’extension du domaine de l’expertise peut elle aussi servir de ressource à une contestation circonstancielle de la dite « normalité », et ce d’autant plus qu’elle va de pair avec une personnalisation du propos (Schwab, 2022). Enfin, la médiatisation numérique pousse à une formalisation de l’espace symbolique sur des questions comme celle de l’authenticité de pratiques et discours religieux (Ragozina, 2024).
Procédures de participation et calendrier
Les propositions de contribution autour des thématiques évoquées dans cet appel sont à envoyer sous forme d’un résumé de 500 mots (bibliographie non comprise) accompagné d’une brève biographie à l’adresse reletnum@services.cnrs.fr avant le 30 octobre 2024. La réponse sera transmise au plus tard le 15 novembre 2024.
Les ateliers de recherche auront lieu les 18 décembre 2024, 12 février 2025, et 11 juin 2025 au GSRL, au cinquième étage du bâtiment Nord du Campus Condorcet, à Aubervilliers. Des moments de convivialité seront prévus pendant le déjeuner. Ces trois journées constitueront des pôles de réflexion en vue d’une publication collective, envisagée sous la forme d’un numéro spécial dans une
revue scientifique.
Responsables scientifiques : Chloé Baills (EPHE, CASE/GSRL), Jeanne Deysson (Unistra, Uni Heidelberg), Agathe Guy (GSRL/EPHE-Paris, ISCA/LMU-Munich), Kristina Kovalskaya (GSRL-EPHE, CETOBAC-EHESS), et Johan Rols (GSRL, Université de Tel Aviv).
Bibliographie indicative