Programme 4 – Religion et Francophonie

Problématique

Sur les cinq continents, 321 millions de personnes sont capables de s’exprimer en français (données OIF 2023). Ces espaces francophones invitent à penser autrement les interactions religieuses, y compris historiquement, au-delà d’un prisme hexagonal qui s’est longtemps voulu hégémonique. Déployer l’analyse du religieux en société dans cet espace-temps francophone et postcolonial, tel est l’objet de ce programme “Religion et francophonie”. Penser les recompositions religieuses contemporaines en francophonie depuis le XIXe siècle, c’est s’inscrire, d’une part, dans une logique d’échelle, élargissant la focale pour embrasser la diversités des espaces francophones, souvent marqué par le fait colonial. C’est adopter, d’autre part, une logique de décentrage épistémologique, en interrogeant le régime des sciences issues de la révolution industrielle et du “moment colonial” à la lumière d’une réévaluation des productions conceptuelles et empiriques issues des “suds”. D’où le choix d’articuler ce programme porté par le GSRL (UMR 8582) en deux pôles, “Mémoire et résilience”, et “Enjeux épistémologiques et théoriques”. Pôle Mémoire et résilience (référent, Sébastien Fath) La francophonie interroge les ancrages religieux, et nourrit des circulations. Le pôle “mémoire et résilience” s’intéresse plus particulièrement à la religion en francophonie comme répertoire de ressources, et à l’enjeu de la recomposition des identités narratives à l’épreuve de la transnationalité. Les objectifs scientifiques de ce pôle “mémoire et résilience” sont pensés pour se coordonner avec la Plateforme “Mémoire et résilience” du CAMPUS CONDORCET. Le religieux en francophonie comme répertoire de ressources -La ressource numérique : en coordination avec l’axe transversal “Religion et numérique”, l’objectif est d’inventorier et d’analyser les vecteurs numériques qui reconfigurent, depuis les années 1990, l’espace religieux francophone. La langue française en partage induit, via le numérique, une bascule du champ national vers le champ francophone transnational. -La ressource liturgique : en matière liturgique, notamment dans les différentes Eglises chrétiennes, la musique participe des répertoires partagés de la francophonie. Depuis le XIXe siècle, comment circule cette musique dans l’espace francophone ? Quels sont ses effets en matière de cloisonnement/décloisonnement des identités religieuses? -La ressource institutionnelle : depuis la décolonisation, la francophonie a été soumise à un processus d’institutionnalisation. Comment les religions de l’espace francophones se sont-elles inscrites dans ce processus? De grands réseaux, comme l’Alliance Israélite universelle, se sont constitués d’emblée à l’échelle de toute la francophonie. Entre institutions, organisations, réseaux souples, quelle typologie? Quelle tension entre institutions religieuses et identités linguistiques ? -La ressource du capital social : l’aire francophone éclaire sous un nouveau jour les circuits d’entraide transnationaux qui contribuent à irriguer les sociabilités religieuses. Les transferts financiers opérés via les solidarités religieuses francophones, le rôle des médias religieux, les expertises partagées, les logiques d’endogamie/exogamie…. Autant de champs d’observation. Religieux en francophonie & identité narrative (Ricoeur) -L’identité par la mémoire du groupe : la « religion pour mémoire » s’appuie sur un référentiel traditionnel et une transmission générationnelle qui n’est pas vouée à la stabilité d’un périmètre territorial. Les « racines » sont aujourd’hui portatives. Quelles recompositions ? -L’identité par le choix de l’expression francophone : l’espace francophone est multilingue. La langue française n’y est ni hégémonique, ni exclusive. Dans ces configurations plurilinguistiques, quels choix orientent les acteurs vers la langue française ? -L’identité par la conversion : sur l’identité narrative théorisée par Paul Ricoeur se greffent aussi les identités recomposées sous le prisme des conversions. Du colonial au postcolonial, quelles formes, quels enjeux, quelles temporalités du changement religieux en francophonie ? -L’identité par le genre : entre résistances, recompositions, innovation, les modes d’appropriation genrée de l’identité religieuse dans les espaces francophones coloniaux et postcoloniaux constituent un passionnant terrain d’enquête. Pôle Histoire et épistémologie (référent, Pascal Bourdeaux) Le second pôle de ce programme s’intéresse à la place de la production scientifique francophone dans les approches globales du religieux. Penser cette histoire incite à opter pour une approche comparée des historiographies religieuses et nationales, des régimes d’historicités, de l’autonomisation des sciences religieuses, des temporalités, proposant ainsi une nouvelle échelle d’analyse de la globalisation du religieux.

Vers une histoire globale et francophone du religieux contemporain?

– Sources de la connaissance des religions et religiosités contemporaines : à l’heure où les humanités numériques tendent à s’imposer comme une méthode de recherche et comme des ressources incontournables, nous chercherons à dresser un état des lieux de la documentation francophone accessible sans être toujours connue ou valorisée.

– Penser les espaces et les réseaux religieux francophones : le monde francophone se déploie en sous-ensembles invitant à des études comparées de la pluralité religieuse (territoire ultra-marin, ex-colonie, etc.). Quant aux villes francophones, montreraient-elles encore des spécificités dans l’organisation spatiale et dans la gestion de la pluralité religieuse ?

– Francophonie et religions du monde (étude de la pluralité, gestion du pluralisme) : l’étude de la pluralité religieuse, en tant que caractéristique de la mobilité des hommes et de la globalisation des religions du monde, incite aussi à comparer les processus d’intégration et de reconnaissance juridique des organisations religieuses. Par exemple, comment le bouddhisme se structure aujourd’hui en France, Suisse, Belgique, Canada et quel est son statut ?

Production scientifique: la langue scientifique entre impérialisme et universalisme

– Histoires religieuses comparées: Comment l’histoire des religions a-t-elle évolué depuis le milieu du XIXe siècle, puis tout au long de l’époque coloniale, au moment où s’affirme l’émergence simultanée des sciences historiques et des sciences religieuses ? Des savoirs religieux contemporains jusqu’à une histoire sécularisée et plurielle, un parcours à décrypter.

– Epistémologies du religieux : la fabrique du lexique francophone du religieux ouvre un autre champ de recherche, appelé à tenir compte de et l’insertion des vocabulaires vernaculaires dans le langage scientifique. Les études menées sur les transferts culturels, sur l’histoire conceptuelle sont là pour nous aider à penser cette définition des lexiques mobilisés.

– Modernités et contemporanéités en question : en prolongement, c’est la question des modernités multiples (S. Eisenstadt) qui peut être réexaminée. Au travers des recompositions sociales, culturelles et religieuses de la francophonie après les décolonisations, c’est aussi la question du rapport à “l’universel” qui peut se trouver interrogée, avec, par exemple, l’hypothèse d’une relecture de la modernité à travers un “pluriversalisme” postcolonial, ou des “altermodernités (Hardt et Negri, Citton).

Mode de fonctionnement

Le mode opératoire de ce programme de recherche en sciences humaines et sociales (SHS) porté par le laboratoire GSRL (UMR 8582) repose sur un principe général : multiplier les transversalités et opérations mutualisées, d’abord avec les autres programmes et axes du laboratoire, ensuite avec des partenaires scientifiques.

Nous fonctionnerons ensuite sur la base de trois modalités.

-Tout d’abord, des réunions régulières, tenues toutes les cinq semaines environ, et faisant l’objet d’un compte-rendu (avec publication sur ce Carnet Hypothèses).

-Ensuite, des journées d’études seront organisées, et un colloque prévu dans trois ans, avec des partenaires scientifiques issus des universités de la francophonie, ainsi qu’avec des partenaires institutionnels tels que le MAE, la Maison des étudiants de la Francophonie (Cité Internationale), l’Agence Universitaire de la Francophonie ou l’Institut Convergences Migrations.

-Enfin, l’objectif du programme est aussi d’initier et favoriser des enquêtes de terrain et opérations de recherche (contrats doctoraux, post-doctoraux), notamment en s’articulant aux objectifs “Horizons Europe 2030” (projets blancs, ERC).

En favorisant de nouvelles collaborations, notamment avec des partenaires de la très vaste francophonie sub-méditerranéenne (universités africaines).