Appel à contributions – « Le paganisme dans tous ses états »

Argumentaire

Depuis le début des années 1980, de plus en plus de personnes se réclament, tant sur le plan religieux que philosophique, du paganisme, donnant naissance à un néopaganisme dynamique. C’est devenu aujourd’hui un phénomène culturel et sociétal de grande ampleur. Des études universitaires lui sont consacrées, ainsi que des revues[1]. Des États lui reconnaissent même le statut de religion. Ainsi, l’Asatru, la religion des Vikings, est devenue en 1973 l’une des religions officielles islandaises. Depuis le 6 novembre 2003, ce culte a été reconnu officiellement au Danemark. Dans les pays anglo-saxons, la Wicca est devenue un phénomène de société depuis les années 2000 où ses pratiquants se comptent par centaines de milliers. Il existe même en Grande-Bretagne et aux États-Unis des aumôniers wiccans dans les universités. Le prince de Galles est traditionnellement Grand Druide. Le polythéisme peut être considéré comme la forme de religion la plus importante numériquement dans le monde, se manifestant de multiples façons : l’hindouisme, le bouddhisme, le shintoïsme, l’animisme africain et amérindien, le taoïsme et le chamanisme sibérien et nordaméricain ne sont que quelques exemples de religions païennes. Le nombre d’adeptes des religions païennes dépasse actuellement le milliard et demi d’adeptes, sans tenir compte les tentatives occidentales de réactivation. Le terme paganisme viendrait du latin paganus, paysan, ou plutôt campagnard/rural. En effet, « paganus », chez premiers chrétiens, signifiait habitant d’un pagus, c’est-à-dire d’un bourg rural. Il s’emploie surtout en opposition à chrétien. Il fut le nom donné par les chrétiens des premiers siècles au polythéisme gréco-romain, auquel les habitants des campagnes restèrent longtemps fidèles. Par extension, il fut le nom donné ensuite par ces mêmes chrétiens aux populations qui n’avaient pas été évangélisées. L’historien français Pierre Chuvin enrichit cette définition : les païens, les pagani, étant les « gens de l’endroit », ayant une religion locale c’est-à-dire ethnique et enracinée, et les chrétiens, les alieni, les « gens d’ailleurs » (Les derniers païens, Paris, Les Belles lettres, 1991), à la religion universaliste étrangère, le christianisme. Selon ses adeptes, le paganisme se serait survécu à lui-même sous plusieurs formes après la christianisation de l’Europe : 1/dans l’inconscient collectif ; 2/au niveau des croyances et des traditions populaires ; 3/ à l’intérieur même ou en marge de la religion officielle, dans des certaines hérésies. S’il s’est développé à compter des années 1980, ses racines sont à chercher dans différents milieux (artistiques, régionalistes et/ou nationalistes et occultistes) des XVIIe et XVIIIe siècles, notamment lors de la constitution des mythes fondateurs des identités nationales, puis dans les milieux romantiques du XIXe siècle. Il s’agit d’une reconstruction idéalisant le paganisme antique et qui postule la persistance de cultes païens en Europe, malgré la christianisation. Par sa nature, il s’oppose aux religions monothéistes, universalistes et prosélytes comme le christianisme et l’islam. À son origine, il y a une fascination et une idéalisation des paganismes antiques et de celui des sociétés traditionnelles. Sa principale composante cultuelle est une conception panthéiste (la divinité est identifiée au monde) et/ou polythéiste (qui admet une pluralité de dieux) de la religion. Il se manifeste principalement par la réapparition de cultes consacrés aux divinités préchrétiennes : celtes, germaniques, slaves, etc. Cependant, il existe différentes formes de néopaganisme. La première fait référence à des divinités ou à une tradition cultuelle précise, et a généralement un fondement ethnique : il s’agit la plupart du temps d’une reconstruction d’une religion préchrétienne fondée sur des recherches historiques ou pseudo-historiques. La deuxième renvoie à un discours écolo-panthéiste de nature universaliste et à un paganisme créé de toutes pièces, comme le néochamanisme ou la néo-sorcellerie de type Wicca. La troisième, enfin, regroupe sous le terme générique de paganisme un choix philosophique et/ou artistique qui peut être le corollaire d’un « paganisme politique ». Dans ce dernier cas, ce recours au paganisme doit être aussi compris comme une volonté d’élaborer un système sociétal original, une philosophie non-chrétienne, et comme une façon de vivre non matérialiste et communautaire. Si la majorité des néopaïens ne cherchent pas à reconstituer minutieusement des rites disparus, un certain nombre d’entre eux lit avec intérêt les ouvrages d’historiens sur les religions anciennes, pour en tirer, sélectivement, des éléments dans un processus d’invention d’une « tradition », conjuguant innovations et réemplois de bribes issues de différentes périodes historiques, et parfois de différentes cultures et civilisations. Le néopaganisme s’alimente donc à plusieurs sources : l’anthropologie (telle la fascination occidentale pour les peuples indigènes et les cultures « primitives »), la littérature, les contre-cultures, les spéculations religieuses, l’intérêt pour le folklore et les traditions régionales, etc. L’exotisme et le rêve qu’il offre peuvent prendre pour objet aussi bien une civilisation étrangère qu’un passé lointain : par exemple l’engouement pour des fêtes médiévales. En ce sens, le néopaganisme relève du « bricolage » anthropologique défini par Claude Lévi-Strauss. Les textes publiés porteront sur les différentes formes de néopaganisme : 1/Religieux : cultes réactivés (pensons à l’Asatru islandaise ou au druidisme) ; cultes (ré)inventés, comme la néosorcellerie, etc. 2/Culturel : ils pourront se pencher sur les thématiques païennes dans la culture, qu’elle soit populaire (Excalibur de Boorman, The Wicker Man de Hardy ou Midsommar d’Aster, les bandes dessinées de Comès, etc.), artistiques (peinture, sculpture, architecture, bijoux), philosophique (Nietzsche, Heidegger, Rosset) ou non-religieux, ouvertement contre-culturelles (pagan metal ou pagan folk, neo folk, etc.). Des œuvres littéraires ont exercé aussi une influence, comme l’Heroic fantasy, en particulier Tolkien. 3/Logiquement, les aspects sociaux (nouvelles organisations de la société, sexualités non marquées par les religions monothéistes, etc.) ne seront pas oubliés. 4/De même, les implications idéologiques/politiques : écologie païenne, paganisme d’extrême gauche/libertaire ou d’extrême droite. 5/Les études pourront enfin porter sur des questions annexes, mais importantes, comme les origines du néopaganisme, les liens entre néopaganisme ésotérisme et/ou occultisme, voire entre le néopaganisme et la franc-maçonnerie. 6/Il faut garder à l’esprit que les remises à l’honneur de l’héritage préchrétien se manifestent aussi ailleurs : des paganismes modernes sont apparus au sein de groupes ethniques sous différentes latitudes. 7/De études sur les regards, qu’ils soient hostiles ou non, portés sur les néopaganismes par les religions monothéistes seront les bienvenues.

Modalités de contribution

Nous proposons de consacrer le deuxième numéro de Terra Incognita (publication des presses universitaires de Mons) à cette question, sous ces différents aspects et dans une logique résolument pluridisciplinaire. Tous les articles respecteront les normes universitaires, que l’auteur le soit ou non. Les textes sélectionnés feront au maximum 45 000 signes, notes comprises. Les propositions seront à envoyer avant le 1er avril 2026, à l’adresse suivante : Terra_Incognita-revue@protonmail.com. Les textes acceptés seront à envoyer pour le 20 octobre 2026, pour une publication en février 2027.

Coordination du numéro

Stéphane François, professeur de science politique, Université de Mons/GSRL (EPHE/CNRS/PSL)

Évaluation

lecture en double aveugle + prélecture par le comité de rédaction Note [1] Par exemple le site Pomegranate, https://journals.equinoxpub.com/index.php/POM