Appel à communications : Les « évangéliques » français : modes d’existence dans un monde « non-évangélique »
Les « évangéliques » français : modes d’existence dans un monde « non-évangélique
Les « évangéliques » : les statisticiens et chercheurs présentent des chiffres de leur croissance mondiale. En France, la presse en dresse divers portraits et les chercheurs en sciences sociales en font de plus en plus leur objet d’étude. Derrière cet intérêt croissant, tant scientifique que médiatique, il reste cependant difficile de définir ce que l’on entend par « évangéliques ». Cette autodénomination participe à des processus de légitimation et de positionnement d’acteurs au sein du protestantisme, du champ religieux et du monde social. La piste ouverte par l’historien David Bebbington est fréquemment reprise. S’appuyant principalement sur des terrains britanniques et anglo-saxons, il a dégagé des caractéristiques communes aux évangéliques : leur « biblicisme », leur « crucicentrisme », leur « conversion » personnelle et leur « activisme ». Plusieurs chercheurs reprochent à ces critères d’essentialiser un mouvement évangélique, en mettant en avant les contenus de croyances et les normes pratiques promus par des autorités évangéliques, plutôt que les racines et évolutions historiques, les processus d’institutionnalisation et les pratiques de celles et ceux qui se disent évangéliques. Une deuxième piste serait de ne pas supposer l’existence d’une confession « évangélique », ni de tenter de la définir, mais de se concentrer sur des réalités empiriques plus circonscrites – des églises, des organisations, des réseaux – rendant compte de différentes manières de devenir et d’être évangélique dans un contexte donné. C’est à partir de tels travaux, menés en contexte français, que cette journée d’études propose d’appréhender la catégorie « évangéliques » à travers les rapports que ceux et celles-ci entretiennent au monde social non-évangélique, des rapports étudiés par le biais de leurs pratiques du croire et de leur institutionnalisation.
Un premier axe s’intéressera aux socialisations évangéliques, à partir desquelles le ou la fidèle se définit évangélique et traduit cette affiliation religieuse en engagement dans une société où il ou elle est minoritaire. Un second axe analysera la structuration des évangéliques, à travers des processus d’institutionnalisation et de mises en réseaux, interrogeant par-là la réalité et les caractéristiques d’un ou plusieurs « mouvement(s) évangélique(s) » en France.
A l’aune d’un qualificatif censé désigner un mouvement religieux relativement récent, en forte croissance et en pleine mutation, y compris en France, cette journée d’études entend offrir un espace de réflexion plus large sur la façon dont les sciences sociales peuvent interroger et se saisir de catégories revendiquées et fortement conceptualisées par des acteurs religieux.
1. Pratiques du croire et croire en pratiques : rapports et présences au monde évangéliques
Public et intime. Les protestants évangéliques sont souvent décrits à partir de ces qualificatifs opposés. Pour reprendre la dichotomie évoquée par Yann Raison du Cleuziou, en tant qu’évangéliques, les individus partagent aisément leur affiliation religieuse. Le protestantisme évangélique est rendu visible dans l’espace public, par exemple, par l’action sociale et l’évangélisation. Cependant, en évangéliques, leurs pratiques du croire établissent des relations intimes entre eux ou elles et Dieu. Au-delà de cette lecture schématique, en utilisant les outils et concepts de la sociologie générale, comment peut-on comprendre l’articulation d’une expression intime de la foi qui passe par l’expérience émotionnelle d’une relation à Dieu et les régimes d’engagements publics au nom de cette même foi ? Comment leur présence au monde, leurs rapports aux autres, évangéliques ou non, s’accommodent ou peuvent être relus à l’aune des rapports de race, de classe ou encore de genre ? La conversion s’illustre comme un support de la relation de l’individu au monde. Comment peut-on analyser, à l’aune de leur sociogenèse, les conversions évangéliques et le changement d’affiliation confessionnelle ou dénominationnelle ?
Prières, cultes, lectures ou groupes affinitaires sont autant d’espaces au sein desquels sont incorporées et reproduites des pratiques du croire qui peuvent être radicalement différentes selon les dénominations évangéliques. Comment s’articulent les différentes échelles de sociabilités évangéliques (familiales, dans les groupes de maisons, lors des cultes…) ? Quelles formes de validation du croire cohabitent ou se télescopent chez les évangéliques ? En quoi ces différents espaces où la foi est collectivement façonnée et vécue socialisent-ils à un rapport de l’évangélique à l’autre et à une catégorisation du monde social spécifique ?
En France, les travaux de sociologie politique qui se penchent sur le rapport au politique des personnes qui s’identifient comme croyantes se sont longtemps opposées autour des catholiques. Comment peut-on décrire le rapport des protestants évangéliques français au politique, au sens large ?
Situés, socialisés, normés, contraints, dans les processus sociaux qui sont aux principes de leurs pratiques ou les rendent visibles, les évangéliques ne doivent pas être traités par leur prétendu particularisme. L’objectif de cet axe est de parvenir à réencastrer le religieux dans le social par ses contingences pratiques comme matérielles et de questionner les relations entre individus et société, plutôt que d’abstraire le religieux de son contexte social. Pour faire le lien avec le second axe, les communications pourront interroger la position des évangéliques face aux institutions qui les représentent, à leurs églises. Quels régimes de présence sociale privilégient les évangéliques ? Pourquoi ? Quelles affinités peuvent exister entre la sociographie évangélique et leurs modes de représentation ?
2. Les dynamiques d’institutionnalisation des évangéliques
L’historien Darryl G. Hart, en cherchant à « déconstruire » le mouvement évangélique, retrace les efforts de leaders religieux étatsuniens, tout au long du XXᵉ siècle, pour élaborer un tissu institutionnel et ainsi rassembler diverses confessions protestantes sous l’égide du « néo-évangélisme », un mouvement à même de contrer certaines évolutions de la société américaine. Des processus d’institutionnalisation d’un(de) mouvement(s) évangélique(s) sont également visibles en France. Cet axe s’intéresse donc aux travaux qui rendent compte de tels processus, à partir de l’étude d’organisations et de réseaux dépassant la congrégation religieuse. Quels acteurs y sont à l’œuvre et quelles sont leurs « modalités d’organisation » – leurs « règles », « savoirs », valeurs, objectifs, etc. ? Cet axe comprend également toutes les recherches qui proposent d’inscrire un individu évangélique, un groupe, une église, une organisation dans ses interactions avec d’autres acteurs évangéliques. De telles analyses permettraient d’interroger la réalité d’une « sphère », d’un « réseau social », d’un « champ » évangélique français – à définir – fait de références, de marqueurs culturels, d’autorités et de capitaux communs, de normes relationnelles et de modes de domination.
Ces processus d’institutionnalisation ne recouvrent pas uniquement des jeux de positionnement « internes » à un monde évangélique, mais aussi des positionnements vis-à-vis des non-évangéliques. Sur les terrains étudiés, qui est habilité à dessiner une frontière entre les « évangéliques » et ceux qui ne le sont pas, et comment une telle frontière est-elle établie ?Vis-à- vis de quels interlocuteurs non-évangéliques les acteurs et institutions étudiés se positionnent-ils, auxquels s’adressent-ils et font-ils référence dans leurs discours ? C’est à partir d’une enquête menée en terrain suisse, qui décrit un réseau d’acteurs évangéliques militant non seulement dans le champ religieux, mais aussi dans le champ politique, que Philippe Gonzalez définit « l’évangélisme » comme un mouvement politico-social international, qu’il distingue des traditions religieuses diverses de l’ensemble des églises utilisant la dénomination « évangélique ».
Ainsi, sont bienvenus les travaux rendant compte des modalités par lesquelles des évangéliques produisent leurs collectifs (axe 2) ou par lesquelles un évangélique le devient et vit comme tel (axe 1) au sein d’une société où les évangéliques sont minoritaires, voire minorisés, ouvrant éventuellement à de nouvelles pistes de définition d’un mouvement évangélique à partir du contexte français.
Modalités de soumission
Les propositions seront rédigées en français dans un format de 3000 signes espaces compris (sans compter la bibliographie). La proposition exposera une problématique, le cadre théorique ou les références majeures mobilisées, la méthodologie, le corpus ou le terrain de recherche.
Les nom, prénom, statut, rattachement institutionnel et adresse e-mail seront mentionnés en haut du document. Merci aussi de faire figurer le titre de la communication et l’axe dans lequel la communication s’inscrit : axe 1 (« pratiques du croire et croire en pratiques : rapports et présences au monde évangéliques ») ou axe 2 (« les dynamiques d’institutionnalisation des évangéliques »).
Adresses mail de réception des propositions et pour toute information supplémentaire : Jean Buyssens (jean.buyssens@scpobx.fr) & Constance Gotte (constance.gotte@outlook.com)
Calendrier
― Mars 2025 : diffusion de l'appel à communications
― 16 mai 2025 : date limite de réception des propositions
― Fin juin 2025 : retour des évaluations et retours aux auteurs sur les propositions soumises
― Fin septembre 2025 : demande d'un document écrit plus détaillé aux communicants
― 7 octobre 2025 : journée d'étude (au Campus Condorcet, Aubervilliers)