Appel à candidature – semaine doctorale du GSRL et du CéSor
Appel à candidature pour la semaine doctorale du GSRL et du CéSor
Si la notion d’engagement a retenu notre attention, c’est parce qu’elle traverse le travail de la recherche, de l’écriture du projet à sa restitution. L’engagement se décline. On s’engage sur le plan politique, artistique, social, spirituel ; l’engagement est collectif ou personnel, public et/ou privé ; il peut mener au désengagement et au retrait du monde. En d’autres termes l’engagement est un « signifiant flottant » (Levi-Strauss, 1950) qui contient en lui une grande diversité de compréhensions et d’être au monde. Lorsqu’on l’aborde sur le plan de la recherche, aux aspects précédemment évoqués s’ajoutent des tensions autour du rapport au terrain, de l’implication personnelle dans l’enquête (voir Favret-Saasa, 1977) au maintien d’une distance parfois aussi nécessaire que trompeuse. La position de la chercheuse ou du chercheur souffre d’une ambiguïté épistémologique que Didier Fassin (1999) caractérise comme un engagement « par rapport au monde qu’il étudie à la fois comme sujet connaissant et comme sujet citoyen ». Que signifie alors la notion d’« engagement » lorsqu’on fait de la recherche en général et de la recherche sur des pratiques religieuses et spirituelles en particulier ? Comment « l’engagement » des enquêtés comme de l’enquêteur ou de l’enquêtrice nous informe-t-il sur les transformations des sociétés ? Qu’est-ce que « l’engagement » dans un travail de recherche dit de la production de savoir en elle-même ? Ce sont ces questions que nous proposons de traiter tout au long de cette semaine de travail, au travers de deux axes directeurs.
1/ L’engagement sur le terrain
Sur le terrain, l’engagement est une condition même d’accès aux données (Favret-Saada, 1977). « L’observation participante » est en soi une méthode engageante, tant parce qu’elle pose des contraintes physiques et pratiques que parce qu’elle suppose une implication affective, et pose la question de la « juste distance » que nous maintenons avec les personnes enquêtées (Bensa, 1995). Mais l’engagement est aussi un engagement malgré soi, soit une forme « d’enclicage » (Olivier de Sardan, 1995) dont on est prisonnier, soit l’assignation à un rôle que l’on n’a pas choisi (Devereux, 1967). En terrain familier, cette assignation est d’autant plus contraignante qu’elle se double d’un sentiment d’ambivalence quant à sa propre position, à la fois dedans et dehors, « d’ethnologue-métis » (Bajard, 2013).
Il s’agira, pendant cette semaine d’écriture, de réfléchir collectivement à la façon d’expliciter son engagement à l’écrit sans tomber dans une forme de narcissisme, ni nécessairement satisfaire à l’injonction au « je » méthodologique (Olivier de Sardan, 2000). L’explicitation procède d’une nécessité d’expliquer « d’où l’on parle », mais aussi « d’où l’on a produit ses données » (Olivier de Sardan, 1995). La réflexion sur ces questions sera développée lors d’un atelier qui portera précisément sur les façons de rendre compte de notre engagement, protéiforme, sur le terrain. Nous aurons l’occasion d’échanger sur les différentes formes que peut prendre cet écrit, et notamment sur la façon dont les « écritures alternatives », c’est-à-dire les productions scientifiques autres que les écrits académiques (vidéos, photographie, podcast, mais aussi des formes littéraires variées (Jablonka, 2017) peuvent être propices à l’explicitation de cet engagement[1].
Un deuxième atelier sera consacré aux manières de saisir et de restituer l’engagement des acteurs et actrices sur le terrain. Parce que la plupart d’entre nous enquêtent en terrain religieux, l’engagement constitue une lame de fond commune aux personnes enquêtées. Toutefois, l’appartenance à un même groupe religieux se fait selon des modes d’engagement individuel divers, que la démarche ethnographique permet d’éclairer (Amiotte-Suchet, 2018). Il s’agira alors de rendre de compte de ces engagements, en portant une attention particulière aux temporalités dans lesquelles ils sont pris. L’engagement est souvent analysé par ses extrémités : comme entrée dans un groupe et attachement à une cause, ou bien à l’aune de sa rupture (Pudal, 1989). À l’inverse, nous privilégierons une approche processuelle, qui fait de la poursuite d’engagement un objet d’étude et non une évidence (Fillieule, 2020). Cet atelier cherchera également à mesurer l’effet de ces engagements sur l’enquête. Interroger son propre rapport au terrain n’a de sens qu’à condition de questionner simultanément la « relation de l’“objet” à “son” ethnographe » (Avanza, 2008). De fait, il s’agira de revenir sur ce que les engagements des personnes enquêtées suscitent comme attentes, et les réponses à leur apporter. Nous accueillons en particulier les propositions qui discutent des « illusions de la neutralisation de la situation d’enquête » et qui envisagent la possibilité d’un engagement conjoint entre ethnographe et population ethnographiée (Dunezat, 2011).
2/ S’engager dans l’écriture
Notre pratique du terrain nous rappelle en permanence la nécessité de trouver un équilibre, toujours précaire, qui ne cède ni au « going native » ni à l’essentialisation de nos enquêtés. Mais c’est une chose que de réaliser ce numéro de funambule dans le temps long et mouvant de l’ethnographie, et c’en est une autre que d’arriver à le fixer dans un texte. Comme le disait Emir Mahieddin (2011) alors qu’il était à notre place de doctorante et de doctorant, il s’agit de faire de la critique réflexive de Writing Culture (Clifford & Marcus, 1986) non pas seulement le souvenir d’une crise dépassée par la génération précédente, mais l’aune à laquelle chacun de nos travaux ethnographiques doit être mesurée pour se consolider dans un « perpétuel principe d’inquiétude » (Foucault, 1966 ; Naepels, 2012). Cette semaine de travail collectif permettra à chacun et chacune de bénéficier du regard extérieur de ses condisciples, pour dépasser la théorie méthodologique et s’attaquer à la fabrique pragmatique de son propre texte, à la lumière du double impératif – éthique et scientifique – qui doit être le nôtre.
Dans la continuité de cette réflexion, considérer l’engagement par l’écriture nous incite à réfléchir quant à la place qu’occupent les mots dans la restitution de nos travaux. Que ce soit parce que l’on écrit dans une langue qui n’est pas la nôtre ou parce que nous nous demandons comment transcrire des termes dits « indigènes », des expressions et des formulations (pour une réflexion sur les enjeux épistémologiques de la traduction en général, voir Lavieri, 2010), il convient de s’interroger sur les modalités de traduction du réel (Calame, 2002). Il apparait dès lors primordial de questionner la façon dont la diversité des écritures (académiques et non-académiques) impacte notre terrain et le rapport que nous entretenons avec lui (Bensa, 2008). Pour ce travail, nous accueillons les propositions qui questionnent les manières de retranscrire le terrain, et en particulier celles qui interrogent les façons de faire voir, entendre et sentir des données avant tout immatérielles.
En effet, en tant que doctorantes et doctorants du CéSor et du GSRL, nous faisons face à une difficulté supplémentaire. Par-delà la diversité de nos terrains et de nos objets, nous étudions des formes de croire, dans toute la dualité paradoxale du terme (Hamayon, 2006). Nous savons qu’il faut se garder de croire que les autres croient (Pouillon, 1993), mais comment préserver le caractère dynamique de l’attitude de croyance quand on doit en faire le récit a posteriori ? L’ethnographe doit donner la parole aux croyants et croyantes, mais sans perdre de vue qu’il n’a accès qu’à des énoncés de croyance jamais à un contenu de croyance, et qu’un même individu peut soutenir des énoncés variables voire contradictoires (Amiotte-Suchet, 2011). C’est ce caractère dialogique qui fait de l’enquête ethnographique une spirale qui ne cesse de se dérouler pendant et après le terrain (Cefaï, 2010). Cependant le passage à l’écrit est le moment où l’engagement se fait implication, c’est-à-dire la responsabilité de trouver une juste forme qui soit aussi une forme juste (Blanckeman, 2013). C’est à cette tâche que nous aimerions collectivement nous atteler pendant cette semaine de retraite d’écriture.
Modalités de participation
Les doctorantes et les doctorants intéressés sont invités à envoyer une proposition de communication de 300 mots, un court résumé de la recherche et du parcours doctoral dans son ensemble avant le 18 mars. Nous vous encourageons par ailleurs à expliciter vos attentes quant à cette semaine et suggestions d’ateliers. Les propositions seront examinées par le comité d’organisation. Les personnes sélectionnées (une quinzaine) seront contactées au plus tard le 30 mars afin d’organiser les ateliers. Un brouillon sera également demandé à diffuser aux membres participants 15 jours avant la semaine doctorale.
Les candidatures côté GSRL sont à adresser à : Louise Chabanel (louise.chabanel@gmail.com), Lancelot Claret-Trentelivres (lancelot.claret@hotmail.fr) et Agathe Guy (guy.agathe@outlook.fr).
[1] Les écritures alternatives suscitent un intérêt croissant en France dans le milieu académique. Voir notamment les initiatives du centre Norbert Elias à Marseille à l’origine du salon annuel des écritures alternatives en sciences sociales (FOCUS), de la MSH Ange Guépin à Nantes et de l’Université Paris Cité.