Appel à contribution – « Palestine ! Imaginaires et formes de luttes, d’ici et de là-bas. »

Palestine ! Imaginaires et formes de luttes, d’ici et de là-bas.

Il n’est pas aisé d’aborder, du point de vue des sciences sociales les événements tragiques à l’œuvre en Palestine occupée, que les plus hautes cours de justice internationales qualifient d’« extermination » de masse et dont nombre de spécialistes n’hésitent plus à reconnaître le caractère génocidaire. Ce dossier appelle à porter un regard critique sur les multiples imaginaires et formes de luttes que convoque la Palestine, se déployant sur diverses scènes de mobilisation, produisant du conflit ou du commun, se confrontant là-bas à l’hyperviolence, ici à la répression des libertés d’expression touchant l’université et la société civile. Au cœur de l’extrême-violence d’un système-monde dont elle révèle les contradictions, la Palestine nous confronte aux failles d’un « ordre humanitaire » tel qu’il s’est construit au lendemain de la seconde-guerre mondiale, avec la promesse d’un engagement supranational pour l’« universalité des droits humains ». Penser la « Palestine » et les imaginaires qu’elle convoque, c’est aussi penser le statut des images dans une guerre où l’information fait l’objet d’une lutte sans merci, alors que la représentation à forte charge émotionnelle de la mort et de corps invalides palestiniens déborde des réseaux sociaux, contrastant avec son invisibilisation par les médias télévisuels dominants. Ce dossier propose donc de questionner ce que la Palestine fait exister et imaginer. Cet appel propose de considérer la « Palestine » à la fois comme un imaginaire, un symbole, un territoire, un peuple, mais aussi comme une pluralité de luttes, de guerres, de déplacements, de dépossessions, et de résistances. Elle active des résonances, trouve des échos, et sème à échelle globalisée des espoirs localisés. Notre focale se porte ainsi sur les différentes formes que prennent ces imaginaires, saisis dans leur profondeur, leurs continuités et leurs ruptures historiques, leurs ancrages sociopolitiques du présent, leurs singularités subjectives et affectives. Comment se mobilisent ces imaginaires qui se donnent à voir ici et ailleurs, que génèrent-ils, en termes de luttes, de résistances, de projets existentiels, pour la Palestine ? Quel est ce « nous » qu’ils rendent possibles et quelles formes concrètes prennent-ils ? Nous souhaitons comparer une diversité de contextes nationaux afin de dessiner une nouvelle cartographie du monde centrée sur la Palestine se déclinant de manière kaléidoscopique depuis une pluralité d’imaginaires, s’exprimant en autant de luttes concrètes et de positionnements politiquement situés. Trois axes retiendront notre intérêt :
  1. Imaginaires et luttes in situ. A la suite des destructions massives des habitations, des écoles et des hôpitaux, ce premier axe s’attache à ce qui fait tenir debout celles et ceux qui se disent du « peuple palestinien ». A quoi se raccrochent les survivant.e.s pour surmonter la mort et la destruction, qu’est-ce qui subsiste des combats, des mémoires, du patrimoine, du territoire, de la culture et de l’histoire d’un peuple que l’on veut effacer ?  L’ampleur des bombardements sur Gaza et la destruction de ses archives témoignent de l’anéantissement de la cité comme modalité de l’effacement d’une société.  Face à l’accaparement des terres agricoles dans un contexte de famine et de ravages écologiques à Gaza, s’ajoutant à l’accélération de la colonisation en Cisjordanie, quelles sont les pratiques mises en œuvre par les Palestinien.ne.s pour préserver leur dignité et leurs projets politiques ? Cet axe sera l’occasion d’étudier les imaginaires palestiniens et les formes de résistance qu’ils déploient, expression du refus de la domination extrême et qui se projette dans une production artistique et littéraire foisonnante où se manifestent les espérances d’une liberté recouvrée. Cet axe attire également l’attention sur la diaspora palestinienne : de quels investissements et productions politiques, culturels, artistiques, scientifiques, militants, syndicaux s’emparent celles et ceux qui revendiquent une identité palestinienne ?
  2. Des imaginaires à l’échelle globale producteurs de « commun ». Ce deuxième axe s’intéresse à ce que la Palestine fait exister dans un champ social globalisé, et les formes de résistances, de causes et de luttes politiques qu’elle fait advenir. De l’Afrique du Sud à l’Algérie, en passant par l’Irlande du Nord et la Colombie, comment ces imaginaires s’interconnectent-t-ils à des histoires locales singulières ? Comment participent-ils au renouvellement des récits de l’anti-impérialisme, et à l’esquisse de nouvelles solidarités internationales par lesquels s’esquissent d’autres possibilités de penser le monde contemporain ? Qu’ils bousculent ou qu’ils renforcent les lignes de clivage habituelles - Nord/Sud, Monde arabe/Occident - ces imaginaires et les pratiques concrètent qu’ils produisent, peuvent se déployer exclusivement dans le ciel éthéré des idées, révélant parfois des formes de récupération opportuniste qu’il convient d’analyser, ou donner lieu à des pratiques solidaires concrètes, comme le boycott, pensé comme une résistance non violente. Dans quels rapports aux politiques de leurs gouvernements nationaux, par quelles expériences et reconfigurations d’appartenances ? Cet axe invite des contributions venant de toutes les aires géographiques.
  3. Des répressions, interdictions, censures révélatrices. Ce troisième axe se propose d’ethnographier ce qui vient interdire, réprimer, neutraliser le soutien à la Palestine, ou encore incapaciter une pensée solidaire. Il s’agira d’analyser les raisons des tabous qui frappent ces résistances et d’étudier comment celles-ci s’organisent cependant pour contrecarrer ou contourner ces injonctions normatives et leurs effets délétères sur l’expression des solidarités. C’est une invitation aux voix israéliennes qui mettent en évidence ce qui, dans leur société, a rendu possible la politique de décimation et de destruction sans limite du peuple palestinien, et plus généralement, aux contributions qui décrivent les mécanismes ordinaires d’une « fascisation » des esprits. Tout en portant l’accent sur les clivages politiques dans l’espace public, cet axe s’intéresse aussi aux conflits qui déchirent les espaces familiaux, amicaux, et autres territoires de l’intime, et qui s’exacerbent à travers les réseaux sociaux et internet.
Ce dossier s’ouvre à des contributions s’inscrivant dans les différents champs disciplinaires des sciences sociales. Toutefois, les propositions d’articles se saisissant de cet appel en analysant des pratiques de terrain associatives, militantes, syndicales, hors cadre universitaire, sont également bienvenues. Un cahier photographique indépendant des articles du dossier est prévu pour ce numéro. Des images peuvent être proposées à cet effet. Soumission des synopsis et calendrier : Les propositions de contributions peuvent être soumises en anglais, français et en arabe. Elles présenteront les cas empiriques étudiés et les questionnements théoriques qui y sont associés. Ces propositions, comptant au plus 3000 signes (ou 200 mots) devront être envoyées avant le 14 novembre 2024 aux  trois  coordinatrices, Kassia Aleksic, Judith Hayem et Fatiha Kaouès  à l’adresse palestine.jda@gmail.com